Pour les personnes sourdes, la perception du monde se fait principalement par la vue : elles captent les informations visuelles, les traitent dans leur cerveau, puis les expriment avec les mains sous forme de signes (Y. Delaporte, 2002, p. 33). En revanche, pour les personnes entendantes, la perception se fait par l'ouïe : elles reçoivent les informations par les oreilles, les traitent dans le cerveau, et les communiquent par la bouche en utilisant des mots (ibid, p. 34). En résumé, être sourd et être entendant impliquent deux modes de traitement cognitif distincts mais parallèles.
Pour les personnes sourdes, la surdité représente une manière de vivre et elles observent deux normes : celle de la surdité et celle de l'audition. Elles sont souvent perplexes face à la vision des entendants qui les perçoivent comme des personnes handicapées vivant dans le silence et méritant de la pitié. En réalité, les sourds ont leur propre langue et ils ne vivent pas dans le silence ; ils ne ressentent pas de manque. Ils se perçoivent comme des individus à part entière et rejettent la pitié et les comportements condescendants. Les traitements de faveur, qu'ils jugent condescendants, les font se sentir comme s'ils étaient considérés comme moins capables (ibid, p. 59). Ils rejettent aussi l'étiquette de personnes handicapées, tout comme ils avaient auparavant rejeté celle d'anormaux. Alors que les entendants comprennent désormais le rejet de l’étiquette d'anormal, ils ont plus de difficulté à comprendre le rejet de l'étiquette de handicapé. Pour les sourds, ces deux étiquettes sont équivalentes : elles sont toutes deux des tentatives de les aligner sur une norme qui n'est pas la leur.
Un autre aspect fondamental de l'identité sourde est la langue des signes. Cette langue est essentielle pour l'existence de la communauté sourde. Un entendant, même s'il maîtrise la langue des signes, ne peut pleinement comprendre l'expérience sourde. Lorsque les premiers interprètes sont apparus, maîtrisant à la fois la langue des signes et la culture sourde, les sourds étaient souvent déroutés par cette situation. Aujourd'hui, bien que ce problème soit moins marqué, les sourds reconnaissent que même les entendants qui parlent la langue des signes ne peuvent jamais complètement saisir l’expérience de vivre dans une communauté sourde, avec ses défis sociaux et ses particularités culturelles.